On connait bien Rosalie pour son travail à la télévision; la jeune comédienne tient des rôles dans des séries comme Les Parent et 30 vies, avant de se tourner vers l’animation dans le magazine culturel C’est quoi l’trip? et plus récemment, à Deux hommes en or. Elle tient le rôle titre dans le film Inès, de Renée Beaulieu, qui sort en cinémas le 6 mai. Pour Renée, qui a également réalisé Le garagiste et Les salopes ou le sucre naturel de la peau, c’est un retour à des thèmes qui lui tiennent à coeur, dont les enjeux de la santé mentale et de la sexualité féminine.
Inès suit la jeune femme éponyme (Rosalie Bonenfant) alors qu’elle va fêter ses 20 ans. Sa mère Claudelle (Noémie Godin-Vigneau) est incapacitée suite à un événement lorsqu’Inès n’avait que 10 ans (Inès la surnomme une aubergine), et c’est son père Christian (Roy Dupuis) qui prends la relève. La relation entre Inès et Christian est tendue, et Inès tente tant bien que mal à passer de l’adolescence à l’âge adulte. Elle profite de l’occasion de garder le chien de sa collègue et nouvelle amie Kate (Nikki Bohm) pour déménager et cheminer vers sa vie d’adulte ; s’ensuit une descente aux enfers pour la jeune femme perturbée, qui perds ses repères et cherche son identité à travers les drogues et le sexe.
Renée Beaulieu dirige le tout d’une main de maître. On explore les états d’âme d’Inès surtout à travers les regards plutôt que les dialogues, ainsi qu’avec des images percutantes qui agissent comme symboles et motifs pour illustrer comment la jeune femme se sent. La caméra à l’épaule nous permet de se sentir très proche d’Inès et de l’action, ce qui gonfle d’autant plus le potentiel touchant et choquant de certaines scènes. Rosalie Bonenfant livre une performance hantée en tant qu’Inès : son visage anguleux et ses grands yeux nous absorbent dans la souffrance du personnage. Elle est bien entourée avec la présence stoïque de Roy Dupuis dans le rôle du père distant et imposant.
J’ai eu le plaisir de m’entretenir avec la réalisatrice, ainsi que la jeune comédienne, après avoir vu le film en visionnement de presse.
BE MTL : Quelle a été l’inspiration derrière Inès? Elle vient d’où, cette histoire-là?
Renée : Ça vient de gens assez proches qui ont vécu, pas tous en même temps bien sûr, mais qui ont vécu des troubles de santé mentale assez prononcés et qui ont explosés, au point de devenir adulte. La maladie mentale est une thématique qui m’interpelle de plus en plus, je dirais. Je suis plutôt intellectuelle dans la vie, et, c’est ça que j’aime dans mes films, je ne le suis pas, ce n’est pas ça qui m’anime. Ça s’appelait Nuit, au départ, et j’avais le goût de raconter une descente aux enfers. J’étais pressée de raconter ça.
La relation entre Inès et Christian est assez intense. Dans le dossier de presse, le rôle de Roy Dupuis est décrit comme imposant : le père a du pouvoir sur sa fille. Je l’ai perçu différemment, comme si Inès veut incarner quelque chose dans la vie de son père et prendre sa place. Comment la vois-tu, cette relation-là?
Je vois une relation qui évolue dans le temps. La perte de la mère est quand même quelque chose d’important : tu ne peux pas faire de deuil, car elle continue d’être là, même si elle n’est pas vraiment là. C’est difficile pour les deux. Elle est restée à 10 ans, en attente de sa mère, et veut se faire bercer par son père. Elle est en perte de repères, elle est en train de devenir adulte, la sexualité se mêle là-dedans. Et lui, il est très charismatique, c’est son repère, elle n’a pas d’autre chose que ça, et elle a des problèmes d’identité. Pour moi, le père, il est charismatique, il a une façon de voir la vie qui n’est pas commune, et ce n’est pas un père attentionné ou père poule, mais c’est un parent présent. La relation doit se transformer, parce qu’elle ne peut plus continuer à dormir dans son lit. Elle doit entrer dans l’âge adulte et elle souffre de problèmes de santé mentale, et la toxicomanie entre là-dedans. L’attirance dans tout ça, les deux le sentent, et c’est normal pour moi : ça fait partie de nous de façon animale, mais personne ne transgresse de ligne, et il y a beaucoup d’amour. Ces eaux troubles-là, ça me plaisait et c’était là où je voulais aller.
Comment s’est passée la collaboration avec Rosalie? C’est son premier long-métrage.
Ça a été magnifique. Du moment où elle est entrée dans la salle d’audition, elle a été vraiment irrésistible. Puis on a eu une super relation avant d’embarquer dans le film. Je lui avais dit de regarder Les salopes, parce qu’elle devait être prête à aller jusque là dans sa capacité d’abandon. Donc quand on s’est rencontrées ça a super bien connecté, elle était prête à ça, et on a eu une belle relation de proximité et de confiance. Le tournage n’a pas été facile, mais ça a été très agréable avec Rosalie. Je suis tombée sous son charme à elle, et pas parce qu’elle était connue. Elle voulait être comédienne, et il s’avère qu’il y a une comédienne là! Je suis fière de mon instinct qui ne m’a pas trompée.
Je veux revenir sur une autre image que j’ai trouvée forte, que j’ai beaucoup aimée, l’escalier en colimaçon. On le voit à vue d’oiseau, au-dessus de l’escalier, et on la voit qui descend, qui est en bas. Qu’est-ce que ça voulait dire pour toi?
Ça faisait partie de la poésie. Les escaliers qui menaient à la mère, qui revenaient, ce colimaçon-là, cette spirale-là. C’est ça que ça symbolisait, la spirale : Inès qui est perdue, en position foetale, tellement désemparée, pauvre petite. Cette idée revient à la mère aussi. C’est un motif récurrent, la spirale, une descente aux enfers, avec la mère, pas de repères, tout est pareil, en haut ou en bas.
BE MTL : Ça faisait longtemps que tu faisais de la fiction à la télé, mais ça c’est ton premier long-métrage. Comment te sens-tu?
Rosalie : Je suis un peu extatique. Je suis dans une fébrilité du partage, et en même temps, j’ai tellement attendu qu’il sorte, j’avais tellement hâte! Ça m’a aussi donné le temps de vieillir, donc j’arrive à regarder le projet avec plus d’empathie. Je pense que si je l’avais vu trois mois après l’avoir fini, j’aurais tellement eu le nez dedans que j’aurais été plus critique, tandis que là, la première fois que je l’ai regardé, je me suis surprise à ne pas me juger. C’est peut-être parce que je me sens décalée de cette Rosalie-là de 23 ans qui a trouvé son premier projet. J’arrive à le regarder avec amour et fierté, et ce n’est pas un sentiment que je me permets de vivre souvent.
As-tu partagé cette expérience-là avec ta mère? Je sais qu’elle est une femme de théâtre, même si elle fait beaucoup d’animation maintenant, elle reste une actrice dans l’âme.
Rien! Et je pense que c’est ce que les deux, on souhaitait. Ma mère savait que c’était très dur, ce que je tournais, et elle n’a pas eu le choix de se désinvestir. Elle ne voulait même pas voir le film au cinéma parce qu’elle avait trop peur que ça vienne la chercher. En même temps, j’avais tellement une confiance aveugle en Renée, et je voulais que ce soit cette dynamique-là qui prime. Renée me l’a dit très tôt, qu’elle n’allait pas me materner.
Et puis c’était comment, de travailler avec Roy?
Je savais qu’on allait me demander ça, mais j’aurais dû me poser la question pendant qu’on tournait. Je ne me suis pas rendue à y penser, parce que pour moi, le stress de ce film-là était tellement grand que je ne pouvais pas être impressionnée par Roy Dupuis. Évidemment, je n’en revenais pas que c’était lui qui jouait mon père, mais on dirait que je n’ai jamais pris conscience de ça. Ça a été très formateur, surtout personnellement, parce que je sentais que je voulais lui plaire, comme Inès veut plaire à Christian. Je voulais qu’il me trouve bonne. Il est très bon, Roy, et il a une prestance. C’était facile pour moi de me mettre dans cette zone-là, d’Inès qui est impressionnée par son père.
Comment as-tu navigué la dynamique de la relation entre Inès et Christian?
Je le voyais vraiment comme des aimants : d’un côté ils s’attirent et se collent, de l’autre, ils se repoussent. Inès a perdu sa mère à 10 ans, et ça crée des lacunes. C’est dur de s’affranchir de son rôle d’enfant, qui est aimée et cajolée, et elle continue à vouloir quelque chose qu’elle n’obtient jamais. Elle continue de vouloir, mais lui est complètement désinvesti, et en même temps, il le sait qu’il a de l’emprise sur elle. Et puis, elle a beau avoir 20 ans, ça demeure elle, l’enfant dans la relation. Christian nourrit sa fille, il lui fait à manger, mais émotivement, il y a une carence, et il n’est pas capable de lui donner ce dont elle a besoin.
As-tu appris quelque chose sur toi-même avec le rôle d’Inès?
J’ai beaucoup mis de l’avant dans ma carrière ma personnalité bubbly et opinionée, et je voulais tellement que tout le monde me trouve agréable tout le temps. J’ai peut-être laissé de côté cette part de moi, d’intériorité et de sensibilité, qui est tellement plus grande que le reste. Le film m’a appris que ce n’est pas laid d’être triste, et qu’il n’y a pas d’émotions qui sont pires que les autres. On dirait que j’avais peur d’assumer que parfois je suis triste, ou souffrante, ou parfois je suis pleine de doute ou paralysée. On dirait que je ne voulais pas le nommer parce que je me disais, les gens n’ont pas envie de voir ça, mais il n’y a rien de plus universel que la souffrance. Inès, c’est un film difficile, mais ce n’est pas un film laid. Il y a une beauté dans le propos, et ça m’a permis de faire la paix avec le fait qu’il n’y a pas d’émotions qu’on doit tasser ou qu’on doit célébrer.
Pour voir la bande-annonce, dirigez-vous vers le site Web de Filmoption, le distributeur du film. C’est le 6 mai prochain que Inès, le troisième long-métrage de Renée Beaulieu, et un premier rôle au grand écran pour Rosalie Bonenfant, sera présenté en salles au Québec.